MON PROBLÈME MUSULMAN

Omar Rikabi

(traduit de l’anglais)

 

Le 12 décembre 2015

Ces dernières  semaines  où la rhétorique autour des musulmans s’est passablement échauffée,  je me suis battu pour savoir quoi dire (pour autant qu’il faille dire quelque chose).

 

J’aimerais raconter une histoire qui fera plus qu’inciter ceux qui sont déjà d'accord à cliquer sur « j’aime » et ceux qui ne le sont pas sur « pas intéressé ».

 

Le mieux que je pouvais faire était de réviser et de mettre à jour un papier que j’ai écrit en Juillet pour Seedbed. J'espère qu’il racontera un autre genre d’histoire.

 

Légende photo : Lors d'un voyage à Jérusalem en 2007, je suis tombé sur ce lieu à proximité du site où, selon la tradition, Jésus a été crucifié et est ressuscité.

 

J’ai un problème musulman.

 

Je suis pasteur chrétien dans le nord du Texas. Je suis également fier d’être le fils d'un immigrant musulman originaire du Moyen-Orient. J’appartiens en outre à une merveilleuse et grande famille musulmane.

 

Cela est un problème, parce que, lorsque j’entends parler de San Bernardino, ou de Paris, ou de tout autre acte terroriste, ma première prière est de retenir mon souffle en espérant que les tueurs n’ont pas les mêmes noms que moi.

 

Cela est un problème, parce que, sur la route en bas de chez moi, des hommes armés ont protesté devant une mosquée, puis posté en ligne les noms et adresses de musulmans qui habitaient dans le quartier.

 

Cela est un problème, parce qu’un frère en Christ, président d'une grande université chrétienne, a reçu un tonnerre d'applaudissements après avoir conseillé à ses étudiants de se procurer des armes pour liquider les musulmans avant qu'ils ne nous tuent.

 

Cela est un problème, parce qu'un candidat de premier plan à la présidentielle, ainsi que le fils d'un prédicateur emblématique, ont appelé à traquer les musulmans dans notre pays, à les ficher, et à les empêcher d’entrer sur notre territoire, en s’inspirant, l’un et l’autre, de la façon dont les Américains ont traité les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Ces histoires me font peur, sans pour autant me causer ni choc ni stupeur. En effet, j’ai entendu des gens tenir ce genre de discours en privé durant la plus grande partie de ma vie. Comme un jour, quelque part entre septembre 2011 et l'invasion de l'Irak, lorsque j’ai reçu un courriel d'un ami pasteur. C’était une blague du genre :

Un cow-boy, un Indien et un musulman entrent dans un bar. L'Indien dit : « Mon peuple était en très grand nombre, mais à présent, nous sommes très petits. ». Le musulman répond : « Mon peuple à moi était en très petit nombre, mais à présent, nous sommes en très grand nombre. Devinez pourquoi ? » Et le cowboy de répondre : « Parce que nous, on n’a pas encore joué aux musulmans et aux cow-boys ! »

Je lui ai rappelé l’origine de ma famille, en lui faisant savoir que je trouvais la plaisanterie théologiquement insipide et pas drôle du tout. Mon ami m'a répondu qu'il comprenait, mais que « nous étions en guerre », et qu’en tant que chrétien, je devrais me préoccuper davantage d'être « du côté de Dieu, le côté gagnant ».

 

Cela est un problème.

 

Au séminaire, après avoir donné une conférence dans la chapelle à ce sujet, un autre pasteur est venu vers moi et m'a dit : « J’ai toujours détesté les musulmans. Je n'ai jamais invité mon assemblée à prier pour eux comme des êtres humains. » Telle est la tendance dans certaines églises comme chez certains politiciens : on discrimine les musulmans. On en fait des sous-hommes sans visage, sans histoire… à moins qu’il ne s’agisse d’une histoire voilée par la haine et la violence.

 

Mais un voyage à travers les réunions de ma famille, les appels sur Skype et les fils d’actualité de Facebook racontent des histoires musulmanes plus familières : mon oncle à la retraite qui vit avec ses enfants et petits-enfants à proximité de la plage… Mon cousin qui vient de terminer l’université et fait l’expérience de son premier emploi…  Sa maman qui s’est remise aux études et a passé son diplôme… Tel autre a une nouvelle petite amie… Un autre encore ne peut s’empêcher d'afficher des nouvelles de son équipe de football préférée… Beaucoup se sont réunis cet automne, d’un peu partout dans le monde, pour célébrer un mariage. Certains ne s’étaient pas vus depuis des années, tandis que d'autres se rencontraient pour la première fois...

 

Il y a des musulmans qui tombent amoureux et qui ont leur premier baiser ; qui s’efforcent de faire des études et qui sont en recherche d’emploi ; qui veulent fonder une famille et acheter une maison ; qui célèbrent la naissance d'un enfant et qui souffrent de la perte d'un être cher ; qui jouent à des jeux vidéo et qui partent en vacances... En d'autres termes, des histoires qui sont partagées par les êtres humains.

***

 

Noël vient nous rappeler que Dieu rachète toutes nos petites histoires humaines dans Sa grande histoire divine à travers Jésus-Christ. Ce sont les bonnes nouvelles de l'Evangile. La nature de l'incarnation de Jésus — Dieu se faisant homme pour entrer en relation avec chacun de nous — nous met face à face avec de vraies personnes ayant de vraies histoires. Quand nous choisissons de tordre, d’ignorer ou de ne pas entrer dans l'histoire d'un autre, nous refusons l'incarnation et nous changeons le cours des choses.

 

Il m’arrive de ressentir la peur du terrorisme. Pour une part, l'histoire de ma famille est faite de ceux qui vivent en tant que réfugiés en pays étrangers, ceux qui pleurent la mémoire d'un être cher tué à cause des extrémismes religieux et ethniques.

 

Et j’ai aussi des craintes. Je crains ce à quoi pourrait conduire la rhétorique de la « traque et de la mise au ban », parce que les plus sombres atrocités ethniques de l'histoire ont commencé avec ce genre de discours. Et j’ai peur, à cause du climat actuel, que quelqu'un ne s’en prenne à ma femme ou à mes filles, parce que notre nom ressemble aux noms de ces terroristes.

 

Oui, il y a des musulmans qui commettent de terribles actes de violence. Mais la violence n’est pas réservée à l'Islam. Elle est le fait de toute l'humanité. Dans notre dépravation déchue, nous sommes tous radicalisés par le péché.

 

Il ne s’agit pas d’un problème musulman.

 

C’est un problème humain.

 

Nous devons corriger nos histoires, parce que l'Evangile de Jésus-Christ n’exclut personne de la grâce et du salut... même pas les terroristes. Prenez le cas de Paul par exemple : il a commencé comme militant religieux et supervisait l'exécution des chrétiens qu’il considérait comme infidèles, parce qu'il pensait que cela le mettait du côté de Dieu, du côté gagnant.

 

Il est devenu l'auteur de la plus grande partie du Nouveau Testament.

 

Si je crois en la grâce prévenante — à savoir que Jésus est à la poursuite de chaque personne — je ne peux savoir ce qu'Il a l’intention de faire qu’en entrant dans l’histoire d’un autre à travers Son saint amour. Comment puis-je y participer si la peur me fait fuir ceux qui sont faits à l'image de Dieu, si je les stigmatise et les diabolise ?

 

Cela est un problème pour moi, parce que cela signifie que je ne peux pas, non plus, déshumaniser les politiciens, les prédicateurs, et même les amis qui déshumanisent ma famille musulmane.

 

Je ne peux pas devenir un monstre pour triompher d’un autre monstre.

 

Parce que la déshumanisation peut être une « victime » de la guerre, mais elle ne devrait jamais être une « victime » de l'Evangile.

 

- Pour en savoir davantage, suivez ce lien : http://www.omarrikabi.com/my-muslim-problem/#sthash.9OPgu0t1.pa1CPcqw.dpuf

(Traduction Bernard de B.)